Cela fera bientôt 20 ans que vous avez quitté la scène musicale. Que devient Khadja Nin ?
J’ai arrêté la musique parce que je n’étais pas d’accord avec les majors qui veulent fabriquer des artistes «Kleenex» afin de les utiliser pour amasser de l’argent avant de les jeter lorsqu’ils ne sont plus rentables. Ils essaient d’imposer les choses aux artistes. Je ne suis pas dans les compromissions. On n’a qu’une vie pour vivre toutes les autres. J’ai eu le temps de faire le tour du monde. Un artiste ne quitte jamais la scène. Il prend du recul ou il marque un arrêt, mais peut toujours revenir quand il le veut, quand il a quelque chose à dire. Mais ce qui me manque vraiment, ce sont les concerts et le studio qui procure des émotions indescriptibles et vous plonge dans un état sur dimensionnel. Le moment le plus fort de ma vie sur scène, c’était à Sun City, en Afrique du Sud, durant la cérémonie des Koras Awards et Mandela était présent. Je lui ai chanté la chanson que j’avais écrite pour lui, mais je ne me serais jamais imaginée la chanter en face de lui.
Comment occupez-vous votre temps ?
Je vis six mois par an dans un village au cœur de l’Afrique, car nous avons plus à y apprendre que chez ceux qui pensent qu’ils savent, et six(6) mois par an à Monaco. Cela fera 21 ans que je vis dans la principauté de Monaco. Lorsque j’y suis arrivée, je ne connaissais absolument personne et je suis devenue amie à la princesse Caroline. C’est ma grande sœur. Les gens fantasment sur notre vie à Monaco. Évidemment, Monaco est un pays très riche, devant le casino,il y a des Lamborghini, des Bentley, des Porsche, etc. Bien sûr que cela fait rêver ; mais nous, nous vivons normalement. La princesse est une grand-mère et avec elle nous sommes allées à Tombouctou ; j’ai été invitée au mariage du prince Édouard. Je serai au bal de la Rose le 24 mars prochain. Au village, je suis débordée.Nous avons plein de petits projets qui viennent des locaux. Je fais beaucoup de rien aussi et je voyage beaucoup pour savoir comment va le monde, dans les campagnes, les marchés, etc.
Que nous vaut l’honneur de votre présence à cette 10ème édition du MASA après y avoir pris part au milieu des années 90 ?
Je suis ici en tant que marraine de «l’Escale Bantoo» et je suis heureuse et très honorée d’avoir été choisie pour ce rôle.
La sélection officielle de «L’Escale Bantoo» était constituée de 10 groupes d’Afrique centrale, à savoir
Armand Biyag (Cameroun),
Lornoar (Cameroun),
Love N Live (Cameroun),
Adango Salicia Zulu (Cameroun),
Collectif Rios Dos 237 (Cameroun),
Fanie Fayard (Congo),
Queen Koumb (Gabon),
Licelv Mauwa (RDC),
Idylle Mamba (RCA),
Geneviève Matibeye (Tchad) qui se sont produits au CNAC du11 au 16 mars, à partir de 22h.
J’ai la naïveté de croire qu’il y a toujours une raison aux choses, car j’ai foi en ce qui me dépasse.Alors, lorsque j’ai été approchée pour accompagner en marraine le projet «Escale Bantoo» au sein du MASA 2018, cela a immédiatement résonné comme une évidence en moi. Je n’ai pas hésité une seconde. Les artistes d’Afrique centrale sont pétris de talent, mais ils n’ont pas la chance d’être aussi bien accompagnés et aussi soutenus que leurs collègues ouest-africains ou sud-africains. Le MASA est un mastodonte et une rampe de lancement unique et inespérée pour des artistes qui se battent au quotidien pour sortir de l’ombre, pour capter un peu de lumière. Les organisateurs du MASA l’ont compris. Ils leur offrent une opportunité à saisir. A eux de jouer !
Que vous inspire le thème de cette édition : «Quels modèles économiques pour les arts de la scène ?»
Je sais par expérience que le métier de musicien ou de chanteur n’est pas -ou peu- considéré dans certains pays du continent. Il faut une sacrée dose de passion, de détermination et même de courage pour choisir cette voie. Les pressions familiales, sociales et économiques sont parfois si fortes que certains abandonnent.
Quelle perte ! Ailleurs dans le monde, l’industrie de la musique occupe une place importante dans l’économie des États, car elle génère à elle seule des profits considérables. Ailleurs dans le monde, les artistes sont respectés et pris au sérieux quel que soit leur style de musique. Ailleurs dans le monde, les artistes ne sont pas qu’un poids lourd de l’économie, ils sont aussi et surtout d’extraordinaires ambassadeurs pour leurs pays, les meilleurs qu’ils soient. En France, la publication d’une étude intitulée «les chiffres clés inédits de la mode et de son économie» a pu mettre en avant le fait que ce secteur représente à lui 150 milliards de chiffre d’affaires, 33 milliards d’exportations ; 580 000 emplois directs, ou encore 1.7% du PIB du pays, soit un total plus élevé que les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique réunis. Il faut de la volonté politique pour y arriver.
YANNICK EFFOUMY