Fondateur d’Afropicks et tourneur international basé en Colombie, Cédric David est présent au MASA pour dénicher des talents et scruter des opportunités de collaboration. Entre deux occupations, il parle de son travail et exprime son ambition de faire connaître des artistes africains en Amérique latine. Entretien.
Réalisée par Yacouba Sangaré
Comment a germé l’idée d’Afropicks ?
J’habite en Colombie. En 2012, nous avons monté un gros projet avec la France, nous avons 55 personnes de France dont des promoteurs, collègues, et cinq artistes dont Amadou et Mariam. Des gens pleuraient d’écouter Amadou et Mariam. Cela a été, pour moi, l’élément déclencheur qui m’a lancé dans le développement et la circulation des musiques du continent en Amérique latine.
C’est une zone qui reste très éloignée de l’Afrique. Comment les populations y accueillent les musiques noires ?
Savez-vous combien d’Afro-descendants, il y a en Amérique latine ? La Colombie, c’est 48 millions d’habitants dont 30% de Noirs. Beaucoup de gens de la Colombie sont originaires du Congo, du Ghana. Il y a donc des liens culturels très forts, même de sang, entre les populations colombiennes notamment sur la côte du pacifique, la côte atlantique, dans les îles colombiennes. Les gens y sont d’origine africaine. Il y a un énorme respect, une grande curiosité et une grande méconnaissance de l’Afrique.
Comment choisissez-vous les artistes que vous emmenez en Colombie ?
Il faut être un peu stratégique. Pour ouvrir les circuits d’Amérique latine, il fallait des noms assez importants. Le fait d’y avoir fait joué plusieurs fois Amadou et Mariam nous a permis de faire venir d’autres artistes. Après, nous avons continué avec de grands noms. Salif Keita, Ballaké Sissoko l’un des maîtres de la Kora, Femi et Seun Kuti, les enfants du grand maître de l’afrobeat, Fela Kuti. Et là, nous avons le bonheur de travailler avec Jupiter & Okwess du Congo (RD), Mulato et d’autres artistes. Après ça, j’en suis aujourd’hui à faire venir des artistes que je fais connaître. C’est pour ça que je suis ici. Vous avez Bideew Bou Bess, avec lequel je viens de faire une tournée au Sénégal, le trio Seydou Brassouna du Bénin. Effectivement, il fallait stratégiquement ouvrir des circuits, générer l’intérêt des médias et montrer à quel point ça marche. Mes clients, qui sont les festivals, les salles de théâtre sont attentifs à ce qu’on leur propose. Et à chaque fois, ça a été bien. L’effervescence du continent africain en ce moment lui permet de gagner une visibilité très importante. Beaucoup de gens se rendent compte qu’il se passe quelque chose en Afrique. Certes l’Afrique a toujours été très créative, mais là elle a pris conscience sa force. Elle est plus indépendante, plus autonome. C’est ce qui nous intéresse.
Initiez-vous des projets de collaboration entre les artistes africains et colombiens ?
Bien sûr. Notre rêve, c’est de créer ces ponts, d’avoir de collaborations. Quand on fait venir des artistes africains, ils invitent des musiciens colombiens sur scène à les accompagner, avec une guitare, un saxophone etc. Nous faisons aussi de la co-création. Nous avons par exemple fait une chanson avec la Mambanegra, un cours de salas de Cali. Nous avons également initié des projets au Mexique, au Chili. Nous essayons de faire en sorte qu’il se passe quelque chose dans les deux sens. La difficulté, c’est d’avoir du temps. Notre effort, c’est de créer des liens entre l’Amérique latine et l’Afrique. La Colombie est en train d’ouvrir une ambassade à Dakar et d’ouvrir un vol direct avec le Sénégal. La vice-président de la Colombie, Francia Márquez est originaire du Congo. Elle a une histoire forte. Elle a commencé comme employé de maison, puis elle a fait des études pour devenir avocat et aujourd’hui, elle est la 2ème personnalité de la Colombie et elle veut tisser des liens avec des pays d’Afrique.
Vous êtes présentement au MASA. Que venez-vous y chercher ?
Il y a trois axes de réponse. D’abord voir si un artiste m’enchante et je sens autour de lui un environnement professionnel. Et je le signe dans mon catalogue. Ensuite, trouver un artiste qui m’intéresse pour un festival précis car je produis aussi des festivals. En ce moment, j’essaie d’annoncer Alpha Blondy parce qu’il est connu là-bas. Enfin, c’est des rencontre avec des collègues, qui, comme moi, font de la gestion culturelle et cherchent des opportunités de collaboration.
Avez-vous déjà déniché des talents que vous souhaitez faire tourner dans des festivals ?
Il y en a un avec qui j’aimerais bien avancer. C’est Suspect 95. Par contre, j’ai vu une dame extraordinaire que j’ai adoré et avec qui nous allons faire quelque chose, c’est Nelida Karr, qui vient de la Guinée Equatoriale.
Etre tourneur, ce n’est, dit-on, pas facile. Quelles sont justement les contraintes de ce métier ?
C’est la partie gestion administrative, notamment des contrats, des visas qui sont un vrai souci. Il y a aussi les péripéties des vols. Le manquement de professionnalisme de certains groupes est un vrai problème. Par exemple, le départ est fixé à 6h et à cette heure-là, le gars est encore dans son lit. Vous le recadrez mais après ça recommence. Pour certains, c’est un problème culturel. En revanche, il y a des artistes qui sont très professionnels. Ils respectent les horaires de spectacles et des voyages. Notre métier occasionne beaucoup de déplacements qui ne sont pas toujours aisés. Mais, je suis content de faire ce métier, de développer des talents, en Amérique latine et dans les caraïbes.
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Avec les photos des stagiaires de la formation animée par le photographe Dorris Haron Kasco organisée par le MASA.